La culture des champignons, comment l’intégrer dans un système durable ?
13-22/12/2019
C’est à la ferme Huaguling à Miaoli que j’ai pu pour la première fois observer la fungiculture, c’est-à-dire la culture des champignons. En tant que grand amateur de ces aliments qui ne sont ni végétaux ni animaux, j’ai toujours été curieux de connaître leur processus de culture
Quelques notions de fungiculture
À Taïwan, comme dans une majeure partie de l’Asie de l’Est, une grande variété de champignons est cultivée. On dénombre ainsi une vingtaine d’espèces alimentaires, mais aussi d’autres aux vertus médicinales. En tous cas, tous les champignons sont renommés pour leur teneur en nutriments. À Huaguling, les principales espèces cultivées sont :
- Le shiitaké (Lentinula edodes)
- L’oreille de Judas (Auricularia auricula-judae), dont il existe des variétés blanches et noires.
- L’hydne hérisson (Hericium erinaceus), “crinière de Lion” en anglais ou “tête de singe” en chinois.
- Le pleurote en huître (Pleurotus ostreatus).
Lors de mon séjour je n’ai pu observer que la culture des shiitakés, ainsi que de quelques pleurotes issus d’une précédente fournée, toutefois les méthodes de culture de ces 4 espèces sont globalement similaires.
La culture de champignons, prise dans son intégralité, est relativement complexe et demande un matériel spécialisé, une certaine infrastructure et beaucoup de manutention.
Il faut d’abord préparer le substrat qui constituera la nourriture des champignons. On peut cultiver des champignons directement sur du bois, dont l’essence et la fraîcheur va dépendre du champignon cultivé. Mais le plus souvent dans les cultures commerciales, on utilise un substrat en sachet plastique. Ce substrat est composé de sciure de bois, de déchets agricoles tels que les rafles de maïs ou de déchets alimentaires tels que l’okara (pulpe de soja restant après la fabrication de tofu).
Ce substrat sera ensuite inoculé, soit avec des chevilles colonisés par du mycélium (filaments végétatifs du champignon) pour la culture sur bûche, soit en le mélangeant avec des grains de céréales entièrement colonisés par du mycélium pour la culture en sachet (étape qu’on surnomme également lardage).
Ces deux premières étapes (préparation du substrat et inoculation) sont faites par un prestataire disposant du matériel nécessaire et qui fournit plusieurs fermes.
Je laisse Mlle Kang vous expliquer la seconde partie de la culture jusqu’à la récolte.
Les avantages d’utiliser cette méthode de la culture en sachet sont :
– Possibilité de désinfecter le substrat (généralement en le passant à la vapeur), afin de limiter fortement la contamination par d’autres organismes. Lors de l’étape de colonisation du substrat par le mycélium, le sac reste hermétiquement fermé. On s’assure donc que seul le champignon inoculé se développe. Ainsi pour certains champignons dont la culture sur bois est délicate (tels que l’hydne hérisson), c’est un gage de réussite.
– Le substrat étant plus riche (surtout en azote) que du bois et déjà fragmenté, la croissance est plus rapide (quelques semaines avant que les hyphes colonisent le substrat contre plusieurs mois/années pour coloniser une bûche).
L’intégration dans une vision agroécologique
La fungiculture présente de nombreux avantages qui lui permettent de s’intégrer dans un système agroécologique.
Tout d’abord, elle permet de valoriser les espaces recevant peu de lumière, comme les sous-bois, ou les caves. C’est ainsi qu’au XIXe siècle s’est développée la culture du rosé des prés (Agaricus campestris), puis du fameux champignon de Paris (Agaricus bisporus) dans les anciennes carrières de la banlieue parisienne, profitant de l’abondance de fumier équin de la capitale pour servir de substrat.
À la ferme Huaguling, la topographie très pentue du terrain a été mise à profit, en créant des “caves” semi-ouvertes sous les petits bâtiments agricoles, ce qui permet d’artificialiser deux fois moins de surface.
Ensuite, la production de champignon peut entrer dans un cycle vertueux de nutriments à l’échelle du territoire. Comme expliqué dans la vidéo par Mme Kang, de nombreux résidus agricoles peuvent être utilisés dans la fabrication de substrat de fungiculture. Ces résidus, à cause de la capacité limitée des plateformes de compostage, sont souvent traités comme des déchets et incinérés. Il y a d’ailleurs environ 1 million de tonnes de déchets agricoles produits par an à Taïwan. Les fermes produisant des champignons fonctionnent donc comme des mini-plateformes de compostage, conservant à fertilité au niveau du territoire. Ainsi à la ferme Huaguling, après récolte des champignons, les sachets de substrat “digérés” par les champignons sont utilisés comme compost pour les sacha inchis, l’autre production phare de la ferme (voir ici pour en savoir plus sur le sacha inchi). Pas besoin de transport supplémentaire, la ferme produit ainsi elle-même une majeure partie de son fertilisant.
Enfin, il semble possible de combiner la culture de certains champignons avec une culture maraichère. Ainsi, la culture de brocolis et Choux de Bruxelles associés à des pleurotes de l’orme (Hypsizygus ulmarius), poussant dans un mulch, permettrait de doubler le rendement des plantes maraichères, tout en produisant des champignons comestibles sur la même surface (Stamets, Paul. Mycelium running: how mushrooms can help save the world. Random House Digital, Inc., 2005.). Cet effet pourrait être causé par la mise en circulation rapide des nutriments via la décomposition du mulch par les champignons. On observe des effets de synergie dans d’autres combinaisons, pare exemple en cultivant des cèpes de paille, ou strophaire rouge vin (Stropharia rugosoannulata), avec du maïs.
À l’opposé, la culture de champignons peut avoir divers effets néfastes.
Tout d’abord, la production commerciale se faisant majoritairement en sachet plastique, la production de champignon produit une quantité importante de déchet plastique. Par exemple dans le district de Xinshe à Taichung, première zone productrice de champignons à Taiwan, chaque année est utilisé 200 millions de ces sachets plastiques !!! Immanquablement, à cause de certains producteurs peu scrupuleux, ou simplement du volume important de plastique en cause et d’inattention, une partie de ce plastique se retrouve à contaminer l’environnement…
Ensuite, au vu du bon prix auquel peuvent se vendre les champignons à Taïwan (compter 650NTD, soit une vingtaine d’euros pour 600g de shiitakés séchés de qualité moyenne !), le substrat peut également obtenir une valeur importante (entre 1600 et 2300 NTD, soit entre 50 et 70 euros, la tonne de sciure). Ainsi, certains gestionnaires d’espaces verts ou de zones forestières n’hésitent pas à élaguer de manière déraisonnable ou à faire des coupes rases à la limite de la légalité pour “valoriser” le bois en sciure à champignons. On estime d’ailleurs la quantité de bois nécessaire à la consommation annuelle taïwanaise de champignons à la production moyenne de 2000 hectares de forêt.
Enfin, l’hyper-spécialisation de certaines régions dans la production de champignons peut provoquer une forte bétonisation comme à Xinshe dans la région de Taichung, que j’ai traversé plus tard lors de mon tour de Taïwan à vélo. Pour faciliter la culture commerciale, des hangars bétonnés ont en effet été construits en nombre dans ce district.
La fungiculture peut donc être un formidable outil pour amplifier de vertueux flux de nutriments, tout comme un fléau pour les écosystèmes.
Comme pour les cultures végétales, la taille des exploitations, les méthodes employés, et le niveau d’intégration dans le territoire parmi de nombreux facteurs va faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.
Pour aller plus loin :
Champignons, culture et intégration dans les pratiques agricoles