Un fermier qui ne travaille pas la terre

L’agriculture de conservation à Taïwan
5/12/2019

Pour ma première visite dans le comté de Hsinchu, je rencontre Jianliang Wu, de la ferme Buliang, dans le district de Xinfeng. Cette ferme d’une superficie de 5 hectares est assez particulière : il s’agit de la seule ferme à grande échelle (à ma connaissance) qui pratique l’agriculture de conservation (AC) à Taïwan.

Un couvert de Sesbania cannabina se faisant rouler.

Qu’est-ce que l’AC ?
Il y a beaucoup à dire à propose de cette méthode d’agriculture en partie née aux États-Unis dans les années 40, après que le Dust Bowl ait érodé d’importantes surfaces agricoles. À Taiwan, ce sont les techniques de culture de riz sans labour du japonais Masanobu Fukuoka, fondateur de “l’agriculture naturelle” environ à la même époque, qui sont plus connues.
Pour rester simple, l’AC se base sur 3 piliers :
1. Une perturbation minimale du sol, donc pas de labour ;
2. Une couverture organique du sol permanente, qu’elle soit formée de plantes vivantes ou de résidus de culture ou des deux ;
3. Une diversification des cultures de vente et l’introduction de couverts végétaux.
Cette pratique va plus loin que la simple culture d’engrais verts, et permet d’en amplifier les bénéfices. Elle conduit à une augmentation de la matière organique du sol (principalement dans la couche superficielle) et de la vie du sol (vers de terre, insectes, bactéries, champignons, et bien d’autres !), qui sont essentiels à une bonne structure et au cycle des nutriments, et permet de stocker une partie du carbone de l’atmosphère tout en diminuant la consommation de carburant, participant à la lutte contre le changement climatique. Ce sol en bonne santé résulte en moins d’érosion, une meilleure résistance face aux inondations et sécheresses, une réduction des besoins en engrais, pesticides et irrigation, et une meilleure qualité de l’eau, entre autres avantages.
L’AC est ainsi reconnue par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) comme un moyen d’augmenter la productivité de manière durable.

Disques d’un semoir utilisé en AC, qui permettent de couper les résidus de culture et de déposer la graine dans le sol sous ces résidus.

Alors, pourquoi tous les fermiers n’ont-ils pas déjà adopté l’AC ? D’après moi il y a 3 raisons principales :
1. Les vieilles habitudes sont dures à changer, et de part le monde la plupart des fermiers labourent depuis des siècles. En effet, après le défrichage d’une forêt ou d’une prairie, le labour est un bon moyen de rapidement récupérer les nutriments du sol, de lutter contre les adventices et ainsi d’avoir de bons rendements ;
2. L’AC requiert assez souvent une machinerie différente (surtout sur les grandes exploitations) et de nouvelles techniques, encore des habitudes à changer. Dans les lieux isolés et les îles où les machines adéquates n’ont pas encore été développées (comme Taiwan), cela pose encore plus problème. Ainsi M. Wu a dû utiliser une subvention du gouvernement pour les importer des États-Unis ;
3. Pendant la phase de transition vers l’AC, la structure du sol n’est plus aérée par le labour, alors que la biologie du sol n’est pas encore améliorée. Durant ces quelques années, les cultures sont plus susceptibles aux sécheresses et inondations, et les rendements peuvent baisser. Si le fermier compte sur les couverts végétaux et ceux-ci présentent également une mauvaise croissance, cela commence un cercle vicieux. Dans notre cas, la ferme de M. Wu était principalement composée de rizières inondées, labourées au moins 4 fois par an, ainsi le sol est de l’argile compact, avec une semelle de labour (couche très dure entre la terre labourée en surface et le sous-sol jamais travaillé). Il s’agit d’une situation délicate pour commencer l’AC, ainsi M. Wu a dû forer de nombreux trous profonds dans ses parcelles afin d’améliorer la circulation de l’eau.

Le blé semé grâce au semoir à disques germe à travers la litière de Sesbania cannabina.

Depuis une décennie en France, et bien plus aux USA et au Brésil par exemple, l’AC rencontre un succès grandissant. Toutefois au niveau mondial les surfaces de grande culture en AC restent minoritaires. Cette pratique adaptée à tous les climats, et qui s’inclut parfaitement dans la logique de l’agroécologie, devrait pourtant être encouragée le plus possible, étant un outil majeur permettant de sauvegarder le capital sol nécessaire à la pérennité de l’humanité.

À bientôt pour plus d’agroécologie !

Auteur/autrice : Yali

Je suis Alex, ingénieur agronome diplômé d'AgroParisTech, ayant fait une partie de mes études à Taïwan. Passionné de jardinage, d'agriculture, de botanique, d'insectes et autres bestioles, j'ai créé ce site afin de partager expériences, réflexions, innovations, actualités et études sur l'agriculture, sous le prisme de l'agro-écologie.

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